Congés payés non pris en cas d’arrêt maladie : c’est à l’Etat de fixer une durée de report

Actualités - Publié le 17 Novembre 2023

La Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) a été saisie par le Conseil de prud’hommes d’Agen de 2 questions préjudicielles portant sur la limitation dans le temps du report des congés payés non pris en cas d’arrêt de travail pour maladie. Par un arrêt du 9 novembre 2023, la CJUE considère qu’il ne lui revient pas de définir une durée de report, mais qu’il s’agit d’une prérogative de l’Etat français.

Les questions préjudicielles posées à la CJUE

L’article 7, § 1 de la directive « temps de travail » 2003/88 du 4 novembre 2003 prévoit que « les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines, conformément aux conditions d’obtention et d’octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales ».

Le droit français ne précise pas le droit au report des congés payés non pris.

Selon la Cour de cassation, il n’existe aucune limite au report des congés annuels non pris en droit français. Alors que le Conseil d’État considère que le droit au congé annuel payé non pris expire 15 mois après la fin de l’année de référence au titre de laquelle ce droit est né.

La CJUE était donc sollicitée pour répondre aux 2 questions suivantes :

  • Quelle est la durée de report raisonnable des 4 semaines de congé payé acquis, au sens de l’article 7, § 1 de la directive, en présence d’une période d’acquisition des droits à congés payés d’une année telle que prévue par le code du travail ?
  • à défaut de disposition spécifique encadrant le report, l’application d’un délai de report illimité est-elle contraire à l’article 7, § 1 de la directive ?

Depuis les arrêts du 13 septembre 2023 aux termes desquels la Cour de cassation a mis en conformité le droit français avec le droit européen en matière de congés payés, en posant pour principe que les salariés en arrêt maladie continuent d’acquérir des congés payés pendant leur arrêt de travail et en levant la limite d’acquisition d’un an pour les salariés en arrêt à la suite d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle (voir notre actualité sociale du 15 septembre 2023 (https://www.ghr.fr/social/actualites/conges-payes-et-arret-maladie-les-regles-changent), l’arrêt de la CJUE était attendu.

La CJUE se déclare incompétente pour définir un délai de report

La CJUE se déclare incompétente pour répondre à la première question relative à la durée « raisonnable » de report des congés payés non pris. La CJUE considère ainsi qu’il ne relève pas de sa prérogative, mais de celle l’État français, de définir la durée de report des congés payés non pris en cas d’arrêt maladie.

Selon la CJUE, un délai de report illimité ne répond pas à la finalité du droit à congé payé

Concernant la 2e question, la CJUE rappelle que le droit au congé payé, consacré par la directive européenne (art. 7) et la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, a une double finalité : permettre au salarié de se reposer de son travail, mais aussi de disposer d’une période de détente et de loisirs. Néanmoins, « le droit au congé annuel payé acquis par un travailleur en incapacité de travail pendant plusieurs périodes de référence consécutives ne saurait répondre aux deux volets de sa finalité que dans la mesure où le report ne dépasse pas une certaine limite temporelle. En effet, au-delà d’une telle limite, le congé annuel serait dépourvu de son effet positif pour le travailleur en sa qualité de temps de repos, ne gardant que sa qualité de période de détente et de loisirs »

La CJUE précise ensuite que « l’article 7 de la directive 2003/88 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une législation nationale et/ou à une pratique nationale qui, en l’absence de disposition nationale prévoyant une limite temporelle expresse au report de droits à congé annuel payé acquis et non exercés en raison d’un arrêt de travail pour maladie de longue durée, permet de faire droit à des demandes de congé annuel payé introduites par un travailleur moins de 15 mois après la fin de la période de référence ouvrant droit à ce congé et limitées à 2 périodes de référence consécutives. »

La CJUE indique ainsi garantir, à la fois la protection de l’employeur « confronté au risque d’un cumul trop important de périodes d’absence du travailleur et aux difficultés que celles-ci pourraient impliquer pour l’organisation du travail  » et la possibilité pour le travailleur de « pouvoir disposer, au besoin, de périodes de repos susceptibles d’être échelonnées, planifiables et disponibles à plus long terme ».

Concrètement, en l’absence de disposition législative limitant le droit à report, la CJUE autorise donc des « pratiques nationales » à limiter le droit à report, en l’espèce à 2 ans, soit l’intégralité de la demande des requérants.

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Au regard de cet arrêt du 9 novembre 2023, il appartient désormais au législateur d’intervenir afin notamment d’adopter des dispositions permettant de limiter dans le temps les reports de congés payés non pris. A cet égard, Olivier Véran, porte-parole du gouvernement, a indiqué le 15 novembre 2023 à l’issue du Conseil des ministres : « nous sommes en train d’expertiser les conséquences juridiques de cette jurisprudence » « nous allons tenir compte de cette jurisprudence et rectifier la loi ».

 

CJUE, 9 novembre 2023, aff. C-271/22 à C-275/22, Keolis Agen

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